Mémoires closes
Graffitis sur les murs du Bon-Sauveur,
hôpital psychiatrique
©Tristan Jeanne-Valès 33 (0)6 13 56 18 20
« Mémoires closes » est né d’une commande : le Centre hospitalier spécialisé de Caen, en pleine mutation, souhaitait monter un projet sur la mémoire des lieux.
L’idée même de pénétrer et de photographier cet endroit « interdit », lourd d’histoires, caché derrière ses hauts murs, que tout le monde ici connaît sans vraiment connaître, et que tout le monde continue aujourd’hui encore d’appeler le Bon Sauveur, le «BS », m’a tout de suite intéressé.
Les premières visites furent brutales.
Le labyrinthe des ruelles et des pavillons (Saint-Charles, Saint-Lazare, Sainte-Thérèse…), la banalité des façades, des couloirs, et en contrepoint, la dureté de la folie et de l’enfermement (ces regards, le rituel des clés) m’ont fait très vite douter du pourquoi de ma présence. Je n’avais pas l’autorisation de photographier les patients (ou alors, de loin, peut-être…), je crois que je ne le voulais pas non plus.
Je discutai un après-midi avec un infirmier, l’écoutant raconter l’hôpital, lui faisant part de mon doute. Il m’a montré une inscription creusée dans la pierre, profondément, presque une sculpture. Je l’ai photographiée.
Je me suis mis dès lors à scruter les murs avec beaucoup plus d’attention; j’ai vu des initiales et des dates, des dessins, des visages, des cris, des griffures et des entailles, des mots, des sexes, des noms. Mais pas d’explication. Ces images gardent leurs secrets, leur épaisseur, leur beauté parfois. Et leur anonymat.
Des générations de patients ont laissé ces traces. Chacune porte en elle son fantôme, malade, grinçant.
J’ai longé et lorgné les murs du Bon Sauveur pendant des heures. Une mémoire des lieux est ici écrite : il faut juste regarder de près, s’arrêter, prêter attention ; je ne peux m’empêcher, pour chaque photographie, d’imaginer la main qui, un jour, a laissé ces signes, volonté têtue d’inscrire.
Il y a quelque chose de douloureux dans ce travail.
Certaines images sont très graphiques, on peut voir là des œuvres.
J’ai photographié ces œuvres, je me les approprie. La photographie, c’est du vol ; mais garder trace de ces traces est important. Ou parfaitement futile…
En faire mes photographies, les sortir de ce lieu peu accessible, les donner à voir -beaucoup vont disparaître, beaucoup ont déjà disparu- permettre ce passage, voilà mon travail.
Tristan Jeanne-Valès,
Décembre 2005.
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